Anthroposophie en France

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L’œuvre de Rudolf Steiner

Si l'œuvre de Rudolf Steiner ne peut pas être comprise comme origine de l’idée de l’anthroposophie, puisque cette dernière fut nommée, définie, pratiquée par diverses personnalités avant lui (Goethe, Novalis, Schiller, Schelling, I. H. Fichte, Troxler, Spicker, Zimmerman, etc.), il accomplit cependant un pas décisif pour sa mise en œuvre concrète. Il ne s’arrêta pas à une définition philosophique ou à une pratique individuelle, comme ses prédécesseurs, mais il la mit aussi en pratique avec une énergie inégalée, répondant aux demandes de centaines de personnes qui participèrent avec lui à son élaboration. Par son action et son charisme, il fut en mesure de faire converger les énergies permettant la création de projets, d’institutions, d’écoles et d’entreprises qui se développèrent jusqu’à aujourd’hui. Ces mises en oeuvre concrètes et fédératrices permirent la naissance d’espaces sociaux pour le développement de cette démarche qu’il souhaitait scientifique, c’est à dire basée sur l’expérience, sur la vérification et sur une communauté de recherche : des bases pour une « science de l’esprit d’orientation anthroposophique ». Le seul frein important que connut cet épanouissement fut l’interdiction formelle de l’anthroposophie par le 3e Reich, qui ne pouvait tolérer un courant cosmopolite fondé sur l’individu et opposé au racisme. Contrairement à ce que certains auteurs prétendent, Rudolf Steiner a toujours été un opposant virulent à toute conception nationaliste ou raciste, et il éleva la voix sans ambiguïté contre l’antisémitisme - il prit par ailleurs publiquement la défense du capitaine Dreyfus lors de la célèbre affaire. Steiner fut en outre agressé physiquement par des nationalistes sur le sol allemand en 1922.

Rudolf Steiner sur la colline de Dornach, lors du chantier de construction du Goetheanum.

L’anthroposophie, par nature, ne se réduit pas à des livres, encore moins à l’oeuvre d’un auteur : elle est une démarche intérieure, une méthode et une pratique. Elle se développe au contact du monde dans toute sa richesse : la nature, les êtres humains, les œuvres d’art, la littérature, etc. L’œuvre de Steiner est cependant remarquable par son ampleur : ses écrits ont été réunis dans une trentaine de volumes, son activité orale (environ 6000 conférences tenues en diverses circonstances) n’a pas encore été entièrement publiée et représente actuellement plus de 300 volumes. À cela s’ajoutent les réalisations artistiques, qui comprennent des peintures, des dessins, des sculptures mais aussi des ouvrages architecturaux, sans oublier des poésies, des formes chorégraphiques etc. Finalement, on peut considérer aussi la création de la première école Waldorf à Stuttgart, dont il fut nommé directeur par l’entrepreneur Emil Molt, ou le Goetheanum à Dornach, comme des œuvres sociales : ce sont des projets, encore vivants aujourd’hui, qui mettent en pratique des modes de gestion et de travail originaux et novateurs.

L’œuvre orale de Rudolf Steiner doit être abordée avec de grandes précautions, car ses retranscriptions comportent une multitude de contenus que Steiner n’a jamais pu relire et vérifier. Il est établi que cette partie des publications contient de nombreuses erreurs et des déformations. Cette prévention doit être encore plus grande lorsqu’il s’agit de traductions, comme c’est le cas en français. Lui-même ne souhaitait pas que ses conférences soient portées à l’écrit et publiées, mais il y concéda sous la pression des demandes. C’est pourquoi il est grandement préférable de se référer aux ouvrages écrits de Steiner pour se faire une idée réelle de sa pensée. 

Dessin à la craie sur tableau noir, réalisé par Rudolf Steiner lors d’une conférence. Ces dessins, ayant pu être conservés, ont éveillé un grand intérêt dans le monde l’art contemporain depuis les années 2000 et font l’objet jusqu’à aujourd’hui de multiples expositions dans des musées de par le monde.

L’ensemble de l’œuvre de Rudolf Steiner est parfois comprise comme étant le contenu de l’anthroposophie. Il convient d'être bien vigilant sur ce point, pour plusieurs raisons :

Rudolf Steiner, même s’il fut très prolifique, ne fut pas le seul à faire des découvertes et à développer des idées selon la démarche anthroposophique.

L’anthroposophie n’est pas un ensemble d’idées préformées. Il ne s’agit en aucun cas d’un système de conceptions dogmatiques. Par nature, elle est une démarche évolutive, les idées qu’elle suscite sont toujours en mouvement et doivent porter le caractère de la nouveauté.

Toutes les idées imaginables, sans restriction, peuvent être saisies d'une manière anthroposophique, c'est-à-dire « vécues, expérimentées ». L’essentiel est le mouvement, la dynamique des pensées : la méthode. On ne peut donc substituer l’œuvre anthroposophique de Steiner à l’anthroposophie qui vit au présent, de manière libre et individualisée.

Ainsi, nous pouvons mieux comprendre ce qui est essentiel dans l’héritage de Rudolf Steiner : le geste, la dynamique qu'on y trouve. Son œuvre est sérieuse et appliquée, mais elle n’est pas systématique. Elle est riche et multiforme, créative, artistique et évolutive. C’est une impulsion de vie qu’il voulait transmettre et que l’on peut ressentir en l’étudiant. C’est de cette manière que l’étude de son œuvre peut être très stimulante pour le développement personnel. Si on en fait une référence unique ou un dogme, on produit l’inverse de l’impulsion que lui-même souhaitait.

Steiner a souvent souligné que son œuvre principale était sa Philosophie de la liberté, et que tout le reste pouvait être retrouvé à partir de cette dernière. Il situait sa priorité : dans la liberté et l’activité de connaissance individuelle. Cependant, on pourrait aussi mentionner un autre ouvrage : le seul livre qu’il a simplement intitulé « anthroposophie » (Anthroposophie, un Fragment). Cet ouvrage, traitant essentiellement de la manière dont le spirituel peut être perçu à travers les sens humains, est resté inachevé, à l’image de toute son œuvre qui peut être considérée comme une esquisse.

Cette œuvre fait l’objet de très nombreuses expositions dans le monde entier. En 2011, lors du 150e anniversaire de la naissance de Steiner, le Kunstmuseum de Stuttgart a organisé une grande double exposition appelée « Cosmos Rudolf Steiner » : une rétrospective de l’œuvre et une exposition de nombreux artistes contemporains renommés dont les créations portaient pour l’occasion sur l’œuvre de Steiner. De nombreuses expositions ont aussi eu lieu autour de ses dessins sur tableaux noir dans de nombreux musées du monde ainsi qu’à la biennale de Venise en 2013. Son travail dans le domaine de l’architecture et du design a donné lieu a une exposition au Vitra Design Museum en 2011.

Bibliographie

  • Valentine Gary et al., Rudolf Steiner, une Biographie, Arles, Actes Sud, 2009.

  • Hemleben Johannes, Rudolf Steiner, sa Vie, son Œuvre, Laboissière-en-Thelle, Triades, 2003.

  • Lindenberg Christoph, Rudolf Steiner, A Biography, Hudson, Steiner Books, 2017.

  • Steiner, Rudolf, et al. Anthroposophie: ein Fragment. 5. Aufl, Rudolf-Steiner-Verl, 2009.

  • Steiner, Rudolf, et Georges Ducommun. La philosophie de la liberté: observation de l’âme conduites selon la méthode scientifique. 1991.

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