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L’empereur d’Atlantis de Viktor Ullmann à Paris

Dernière mise à jour : il y a 5 jours

Les 7 et 8 mai prochains, l’Orchestre de Paris propose à la Philharmonie, sous la direction d’Omar Meier Wellber, un concert intitulé « KaiserRequiem, Dialogue entre L’Empereur d’Atlantis de Viktor Ullmann et le Requiem de Mozart ». L’approche inéluctable de la mort de chacun des compositeurs constitue le seul lien entre ces deux œuvres que tout oppose : style, texte, distribution.


On ne présente plus le Requiem (inachevé) de Mozart. L’Empereur d’Atlantis, lui, n’est pas encore aussi présent dans les consciences. Composé en 1943-1944 à Teresin, avant qu’Ullmann ne soit assassiné à Auschwitz, le 16 octobre 1944, cet opéra atypique fut répété dans le camp, jusqu’à la générale, immédiatement suivie d’une interdiction. Il fut créé en 1975 à Amsterdam, il y a donc 50 ans cette année. Dix ans plus tard, la première représentation allemande eut lieu à Stuttgart. En France, on compte à ce jour plus de 15 productions.


Quel est l’argument de l’œuvre, qui porte le sous-titre « Die Tod-Verweigerung » (généralement traduit par « Le refus de la mort », on pourrait dire aussi « « Le refus d’obéissance de la mort ») ?

L’opéra de Dijon1 le résume ainsi : « Du palais où il s’est enfermé, Overall l’Unique, Gloire de la Patrie, Bonheur de l’Humanité, et Empereur d’Atlantide, déclare dans son royaume la Sainte Guerre de Tous contre Tous : chacun, enfant, femme ou homme doit prendre les armes et combattre ! Mais La Mort ne peut plus suivre le rythme effréné du trépas industrialisé et motorisé déversé par les tanks et les flottes aériennes. Elle brise son glaive : désormais, plus personne ne mourra ! L’Empereur a beau multiplier bombes et canons, son royaume se remplit d’êtres entre vie et mort, qui aspirent à rendre enfin le dernier souffle, et son palais est assiégé par les rebelles : tous se retournent contre lui. La Mort lui apparaît alors : elle est là pour délivrer de la souffrance, pas pour en accabler les hommes. Elle reprendra son œuvre éternelle si Overall accepte d’en être la première victime… »

Pourquoi évoquer brièvement Ullmann ? Parce qu’il est sans doute le compositeur lié à l’anthroposophie le plus joué aujourd’hui. Né en 1898, élève de Schoenberg et lié à Alban Berg, Ullmann était un compositeur et chef d’orchestre reconnu, lorsque, en 1931, il abandonna la musique pour s’occuper d’une librairie anthroposophique à Stuttgart. Son attitude dépréciative vis-à-vis de l’anthroposophie avait évolué grâce au compositeur Alois Hába. Désormais membre de la Société anthroposophique, il correspondit avec Albert Steffen qu’il rencontra fin 1935. Auparavant, en 1933, il ferma sa librairie en difficulté financière et se remit à la composition avec le travail sur l’opéra La chute de l’Antéchrist (texte de Steffen).


En 1937, il vint à bout d’une crise intérieure (dont il avait interrompu le traitement dans la clinique de Friedrich Husemann à Wiesneck) en écrivant son Journal intime en vers – Le passager étranger, dont la préoccupation principale est le problème du double.


Les nazis occupèrent Prague en mars 1939 ; il ne parvint pas à émigrer et, en août 1942, il fut déporté à Teresin. La vie culturelle dans ce camp, utilisé comme vitrine mensongère, est suffisamment connue pour que nous ne nous y attardions pas. Ullmann composa et écrivit aussi des critiques musicales et un essai, Goethe et le Ghetto, qui s’achève sur cette phrase : « Il convient seulement de souligner que j’ai été encouragé dans mon travail musical par Teresin, et non entravé, que nous ne nous sommes nullement assis en pleurant aux rives de Babylone, mais que notre volonté de culture correspondait à notre volonté de vivre ; et, j’en suis convaincu, tous ceux qui s’attachaient, dans l’art et dans la vie, à tirer la forme de la matière qui s’y refusait me donneront raison. »


Dans le paragraphe précédent, il évoquait le dénuement : instruments et papier à musique étaient rares. Le papier était artisanal, fragile, et pourtant ses compositions nous parvinrent, tardivement.

Il confia les premières, imprimées sur du vrai papier, à un ami russe lorsque les Allemands entrèrent à Prague. Elles réapparurent seulement au milieu des années soixante, dans une vente. Les œuvres de Teresin furent, elles, remises au bibliothécaire du camp, puis à un autre prisonnier qui, après la guerre, les fit parvenir au Goetheanum où elles dormirent longtemps dans un carton, en haut du placard d’une salle d’eurythmie…


Aujourd’hui, ces œuvres vivent grâce à des musiciens qui reconnaissent leur valeur.

Nous souhaitons, par ces quelques lignes, inciter les lecteurs à découvrir ou redécouvrir ce compositeur anthroposophe au sujet duquel on trouve aisément de la documentation.

Benoît Journiac


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