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Exposition « Les esquisses de Rudolf Steiner »

  • 5 mai
  • 7 min de lecture

Depuis le 22 Mars, le printemps est revenu au local parisien de la Société Anthroposophique en France.

Un vent frais souffle et de multiples couleurs se diffusent dans cette atmosphère familière. Des roses-lilas, des teintes violacées, des verts viridian, des oranges d’automne, des jaunes d’or; tout cela faisant écho au vitrail, plus que jamais présent dans la grande salle.

Ce sont les séries d'esquisses de Rudolf Steiner destinées aux étudiants en peinture.


Nous devons ces séries à Henni Geck. Cette artiste contemporaine de Rudolf Steiner dirigeait une petite école d'art à Dornach. En 1919, elle s'est adressée à Rudolf Steiner, lui demandant s’il imaginait possible un chemin

d’entraînement pour les étudiants, à l’instar de ce qui avait pu être fait pour les eurythmistes.


« Quelque chose d'objectif , disait-elle, qui les sorte un peu de leur subjectivité ».


La réponse fut immédiate! Comme s’il avait attendu la question, Rudolf Steiner lui demanda une feuille de papier et des pastels. Il peignit avec un pastel rouge deux larges cercles concentriques d'où surgissaient cinq rayons; il mit un peu de violet rouge par dessous, puis un peu de jaune entre les rayons en-haut, et il dit : «Commencez donc ainsi !». On pouvait distinguer un soleil se levant à l’horizon, le premier « Lever de soleil » de la série.


Huit autres esquisses ont suivi, remises à Henni Geck. Ce sont des «ambiances offertes par la nature », comme par exemple : Coucher de soleil – Clair de lune - Arbres en été – Arbres en fleurs et fruits – Lever de lune – Coucher de lune.

On peut encore rajouter à ces esquisses les sept réalisées cette fois pour L’École Friedwart ( cours de formation continue), dont trois sont exposées ici-même : nous avons ainsi un autre « Lever du soleil », un « Coucher du soleil » et une étude de tête.

Le point de départ de ce parcours didactique, ce sont donc des motifs tirés de processus à l’œuvre dans la nature.


Elles nous orientent vers la vie et les rythmes de la nature: les heures de la journée , les saisons, les atmosphères, la croissance et le dépérissement; toute cette vie rythmée porteuse de sagesse.

Les motifs du soleil nous conduisent dans le grand rythme respiratoire du cosmos, de la terre et de l'homme.

Il s'agissait de représenter à partir de la couleur, cette vie rythmée des phénomènes naturels, à laquelle la lumière participe de façon fondamentale.

Comment se manifeste la lumière à l'aube ou au crépuscule, quelles nuances de couleur sont là agissantes ?


Rudolf Steiner nous dit à ce sujet :

«  L'artiste qui tente de restituer ce qu'il y a de stationnaire au sein d'un être ou de la nature , n'est pas vraiment inspiré par d'authentiques impulsions artistiques. Quand il peint un nuage reflétant toute la magie de la nature, par exemple le soleil levant sur la nuance du nuage, il en est tout autrement. Le peintre fixe alors ce qu'il y a d’éphémère dans la nature, et non ce qui émane de l'essence même d'un nuage donné; il retient ce qui est fugitif et dû aux conditions alentour, au cosmos tout entier. Lorsque notre tableau rend

un nuage éclairé par la lumière à un moment précis de la journée notre œuvre traduit l'ensemble de l'univers présent à cet instant». (1)


L'idée était également de comprendre la nature, non pas dans un état statique, mais comme un processus de vie.

On ne se tourne pas vers une nature « devenue », mais vers une nature pleine de vie jaillissante.

Le but était, d'intensifier la sensibilité des étudiants, de stimuler la vie de l’âme, en la faisant passer par diverses impressions.

Pour cela il fallait une nouvelle qualité d'apprentissage basée sur une participation aux forces vitales cosmiques afin de s’entraîner à « créer comme la nature, elle même le fait.»


Modestie apparente de ces images


Ceux qui découvrent ces esquisses pour la première fois peuvent être surpris par le caractère rudimentaire de ces images. C’est que nous n’avons pas ici une série d’œuvres d'art faites pour être admirées. Rudolf Steiner ne

cherchait pas à réaliser quelque chose de beau ou d’esthétique. Ce ne sont pas non plus des images que l’on pourrait considérer comme achevées. Ce sont des « images-germes», destinées à faire naître en nous un regard

neuf sur la création en peinture. Elles nous invitent à rentrer nous-mêmes dans un processus de création, pour lequel ce n'est pas  le résultat qui compte, mais le processus même, et l’expérience vécue à travers ce processus.


A ce sujet Rudolf Steiner nous rappelle que, de tous temps, le but d'un chef-d’œuvre était d'être regardé et admiré.

Mais il nous propose toute autre chose et il illustre son propos par une anecdote très éloquente :

« Récemment , un de nos amis m'accompagna jusqu'à la maison et me parla d'un monsieur déjà âgé qui lui avait fait la remarque suivante : Si celui qui a eu l'idée de construire ces coupoles avait auparavant vu Saint-Pierre de Rome, il les aurait sans doute conçues autrement ! Mais voilà que, ce n'est pas une, mais plusieurs fois que le réalisateur de ces coupoles a admiré la splendeur de Saint-Pierre; il a néanmoins réalisé ces coupoles-ci telles que nous les voyons.

Il est inévitable que les choses évoluent dans le sens évoqué. En effet, même la basilique Saint-Pierre est là pour être admirée, alors que notre édifice n'est pas fait pour être vu seulement mais pour amener les gens à passer par une certaine expérience ».(2)


À propos du naturalisme de l'époque


Au milieu du XIX siècle, le naturalisme caractérise l'esthétique de la Renaissance et de l'Âge classique, en proposant la représentation directe et fidèle des objets naturels.

Grâce aux apports entre autres, de Cézanne dans la représentation de la perspective et de Gauguin dans l’interprétation des couleurs , la peinture moderne commence à s'affranchir  résolument des contraintes de la perspective, et des tonalités ternes, pour ce qui concerne la couleur. L'idée même qu'un tableau pourrait être «mimétique » de la réalité ou ressemblant à la nature, s'est vu fortement dévaluée et contestée, non seulement par les artistes mais aussi par les historiens de l'art et les philosophes contemporains. 


Rudolf Steiner partageait cette idée également, lorsqu’il affirmait, selon ses mots, que :

« Ceux qui apprécient la qualité d'une peinture en fonction de l'exactitude avec laquelle elle restitue par exemple un arbre, au point que cette copie suscite l'illusion de se trouver devant l'arbre réel, il y a peu de chance qu'ils puissent comprendre ce que nous désirons réaliser » (3).


Ainsi trouvons-nous quelque chose d'entièrement nouveau et inhabituel dans ses esquisses.

Il trouvait que le problème qui se posait à l'art, à l'aube de la modernité, c'était de rester prisonnier des conceptions naturalistes, qu'existaient d'après lui à partir de la Renaissance, comme résultat d’une perte de la compréhension profonde de la couleur, au profit de la représentation de l'espace.

Il est allé plus loin que les philosophes de son temps, en affirmant que l'art naturaliste constituait le principal obstacle au développement d'un art plus spirituel. D'après ses mots :

« C'est seulement quand on peut imaginer un monde autre que le monde naturel que nous pouvons entrevoir une nature transcendée ».


Un chemin d’entraînement à la peinture


Nous  allons découvrir maintenant un prolongement  aux séries des« ambiances de la nature », sous la forme de 19 autres esquisses qui ont suivi, toujours destinées à l'école d'Henni Geck . Ces dernières relèvent plus d’une vision spirituelle de la nature humaine, du développement intérieur et de la vie de l'homme en tant qu’être spirituel. Une grande partie de ces esquisses se trouve exposée dans la grande salle.

Avec cette dernière série, notre regard va se détourner momentanément des rythmes et des forces à l'œuvre dans la nature, pour découvrir un univers contigu, au-delà du sensible.

Ces images  nous surprennent, d’une part pour la spontanéité avec laquelle Rudolf Steiner se sert de ce médium comme s'il le connaissait depuis toujours, et d’autre part, par la justesse et l'harmonie dans le choix des couleurs.


La couleur


Un lei-motif par excellence de toute l’impulsion steinerienne dans le domaine de la peinture, c'est celle de considérer « la force créatrice de la couleur ».

Les indications qu'il nous a donné nous amènent à la perception de formes qui découlent des forces inhérentes à la couleur.

Voici quelques-unes de ses considérations, en ce qui concerne la couleur :

« Tant que nous nous cantonnons sur le plan physique, ce sont les objets de la nature qui nous font connaître les couleurs. Nous ne saurions pas voir une couleur sans son support physique, à l'exception de l'arc-en-ciel,qui exprime les couleurs en tant que telles à l'état pur.

En d'autres occasions j'ai déjà indiqué comment on peut détacher la couleur de l'objet et plonger dans le monde mouvant de la couleur, vivre avec elles.

Se couler entièrement dans la force créatrice des couleurs.

La force créatrice de la couleur engendre un univers qui prend forme, se nuance délicatement et exprime sa nature intime.

La forme naît alors de la couleur. On sent que l'on ne vit pas seulement dans la couleur mais que celle-ci crée elle-même la forme. Les formes sont donc l’œuvre de la couleur»(4)


Lorsque Rudolf Steiner lui-même se saisissait des couleurs pour peindre dans les écoles, c'était alors un moment de fête pour les élèves et pour les professeurs. Ils voyaient alors les motifs et les formes naître de la couleur.


« Dessins sur tableaux noir »


A titre d’échantillons, trois dessins sur tableaux noir sont exposés dans la première salle. Il faut préciser que les dessins sur tableaux noir de Rudolf Steiner mériteraient une exposition à part entière.

Il se servait des tableaux noir et des craies blanches et colorées dans le cadre de ses conférences. Il ne les considéraient pas comme des œuvres d'art, mais comme un outil pédagogique destiné à illustrer son propos.

En 1919, Emma Stölle a eu l’excellente idée de placer, pendant ces conférences de Steiner, des feuilles de papier noirsur le tableau qu'il utilisait pour illustrer ses exposés. Une fois la conférence terminée, elle enlevait la feuille, de façon à conserver les dessins. C'est ainsi qu'aujourd'hui entre 1100 et 1200 dessins sont archivés et rangés aux archives du Goetheanum à Dornach.

Voici pour cette première partie d'une exposition évolutive qui sera présentée tout au long de l'année centenaire 2025.

« Les esquisses de Rudolf Steiner » que le public peut découvrir maintenant et qui ont fait l'objet de cette article, sont exposés jusqu'au 26 septembre 2025.

Inès Morrone


1-2-*3 -*4- Extraits du livre « Le Premier Goetheanum - Témoin de Nouvelles Impulsons artistiques »- GA 287


Annonce pour l'agenda  :


Dans le cadre de l'exposition « Les esquisses de Rudolf Steiner»  et afin d’honorer ce travail, et de permettre de faire l’expérience des impulsions créatives qui en émanent, nous proposerons deux ateliers le samedi 24 Mai et le samedi 28 Juin – de 14h à 17h .

Renseignements et inscriptions:

Inès Morrone - Tél. 06 22 90 28 07


 
 
 

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