La Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf
- 30 juil.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 juil.
Propos recueillis par Jean Pierre Ablard
Créée en 1992 sous l’impulsion de plusieurs professeurs, la Fédération Pédagogie Steiner-Waldorf accompagne et soutient les dix-neuf établissements français labellisés, leurs enseignants, et les quelque deux mille quatre cents élèves scolarisés dans ces structures. Déléguée générale de la Fédération, Lucie Iskandar nous fait part de ses missions et des dynamiques de travail qui animent le mouvement français de la pédagogie Steiner-Waldorf.

Jean Pierre Ablard : Quel est le cœur de ton travail ?
Lucie Iskandar : Je suis chargée de la cohérence des activités menées par la Fédération en réponse aux besoins des établissements Waldorf, et en particulier de la communication et des relations publiques. Une dimension importante des actions est tournée vers l’extérieur, une autre est interne, en lien avec la vie des différents lieux.
Quelques exemples ?
Les actions extérieures concernent par exemple l’information du public et de la presse, l’organisation d’évènements sur la pédagogie, la participation au débat pédagogique en France, les contacts et les synergies avec d’autres pédagogies ou mouvements éducatifs, les liens avec différents partenaires (élus divers, inspecteurs, recteurs) que nous rencontrons de plus en plus fréquemment. Il faut aussi répondre à des situations parfois complexes au niveau institutionnel ou juridique : recours pour excès de pouvoir suite à une inspection ayant donné lieu à une mise en demeure, réactions médiatiques en réponse à nos détracteurs, actions en justice pour défendre les libertés fondamentales mises à mal, etc.
En interne, il s’agit avant tout de consolider le réseau des établissements.
Nous avons récemment réimpulsé divers groupes de travail qu’il faut coordonner : formation des pédagogues, mise en place de stratégies en réponse aux besoins des écoles, édition d’ouvrages et de matériel en direction des enseignants, etc. Nous traitons aussi les difficultés ponctuelles concernant une famille ou une école.
Portes-tu seule ces actions ?
Peu nombreux il y a quelque temps, nous avons pu, grâce à un meilleur financement, réaliser quelques embauches. Nous en sommes à six équivalent temps plein. La part des bénévoles reste encore très importante. La Fédération a aussi un conseil d’administration dont les membres, tous pédagogues, sont très proches de notre trio opérationnel : Patricia Chalet, déléguée pédagogique, Stéphanie Gautier, déléguée administrative et financière, et moi-même constituons la cellule de pilotage. Nous avons aussi un autre cercle qui concerne les directions d’école, dont nous cherchons encore le juste format.
Quelles difficultés rencontres-tu ?
Malgré les efforts constants et partagés des écoles et de la Fédération, l’existence des établissements est de plus en plus menacée ! Il est parfois décourageant de travailler sans relâche pour permettre aux écoles plus de liberté, plus de légèreté, et de constater que le résultat n’est pas à la hauteur de l’énergie déployée par les équipes à la Fédération et dans les écoles.
Qu’est-ce qui te motive alors pour te lever le matin et poursuivre ta tâche ?
Mon enthousiasme pour cette magnifique pédagogie et les collègues des écoles qui nous remercient pour notre professionnalisme et le soutien que nous apportons. Ils peuvent s’appuyer sur notre équipe pour trouver les bons interlocuteurs face à un mur, une difficulté avec l’Éducation nationale ou des parents. La Fédération a su créer au fil du temps une vraie protection autour des écoles grâce aux outils mis à leur disposition.
Un mot sur des réussites, des chantiers aboutis ?
Nous avons aujourd’hui une communication régulière et soutenue via les réseaux sociaux et les newsletters, nous sommes en mesure d’accompagner les écoles sur des questions de réglementation, nous continuons à nous former constamment dans ce domaine, nous pouvons accompagner les écoles dans la rédaction de courriers institutionnels ou la préparation de recours à une époque où les atteintes aux libertés fondamentales sont nombreuses. Nous essayons aussi de répondre aux différents besoins des jeunes pédagogues en donnant la parole aux pédagogues aguerris et je suis fière des fascicules que nous publions depuis trois ans. Autre source de satisfaction, les relations avec les écoles sont paisibles. Les liens de confiance au sein de la Fédération et avec les établissements sont particulièrement précieux dans le contexte actuel.
Quelles sont les relations avec les autres mouvements pédagogiques présents en France ?
Depuis quelques années, nous échangeons avec de nouveaux partenaires du secteur de l’éducation privée ou des pédagogies alternatives (Montessori, Freinet, Écoles démocratiques, instruction en famille, etc.). C’est un début et j’aimerais élargir encore largement ces rencontres : elles permettent de se soutenir et de mener des actions communes pour la pérennité d’une diversité pédagogique et éducative en France, ce qui répond au droit fondamental des parents de choisir l’éducation la plus adaptée à leurs valeurs ou aux besoins de leur enfant.
Quels sont vos autres partenaires en dehors de la France ?
Nous sommes en lien avec plusieurs cercles internationaux : l’Association internationale pour l’éducation Steiner-Waldorf de la petite enfance (IASWECE[1]), le Conseil européen pour l’éducation Steiner-Waldorf (ECSWE[2]), ou encore le Cercle de La Haye[3]. Ce partenaire travaille avec nous actuellement à la mise en place du congrès annuel de la Fédération et a délégué dix de ses membres pour nous soutenir, accompagner le mouvement français et coanimer la rencontre. Nous sommes aussi bien sûr en lien avec la section pédagogique du Goetheanum et la Société anthroposophique en France. D’autres partenaires, dont certaines fondations, nous soutiennent financièrement et nous permettent de réaliser les deux tiers de nos actions.
Passons à un plan plus personnel : qu’est-ce qui t’a conduite vers ce travail ?
L. I. : C’est une longue histoire ! Cette pédagogie m’a profondément touchée dès mes huit ans, lorsque mes parents m’ont inscrite à l’école Steiner de Verrières-le-Buisson, que je n’ai plus quittée. Ma ligne directrice fut ensuite le droit. J’ai travaillé dans le domaine de la justice, en tant qu’assistante de justice au sein du tribunal pour enfants de Paris et auprès de magistrats spécialisés dans l’accueil de mineurs isolés. Je me suis ensuite consacrée à l’ouverture d’un service d’accompagnement à la vie sociale[4] puis à des postes d’assistante de direction dans l’industrie automobile et la mode. Tous ces métiers ont eu en commun une dimension créative très forte. Créatrice aussi moi-même, j’ai donné naissance à mes deux filles avant de travailler à mon compte en tant que juriste puis pour le CNRS auprès de chercheurs en glaciologie et océanographie. J’ai alors senti plusieurs fois un fort appel vers la pédagogie et je me suis tournée vers Didascali pour suivre une formation pédagogique, avec grand plaisir mais sans vraiment comprendre le sens de ce besoin ! Après un détour par Arles et l’École du Domaine du possible qui se créait alors, j’ai répondu positivement en 2017 à l’appel de la Fédération.
Un parcours riche et varié ! Qu’est-ce qui te donne envie aujourd’hui de rester à ce poste ?
J’ai souvent fait rapidement le tour de mes missions précédentes, avec le sentiment de tourner en rond. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ! J’ai un grand besoin d’apprendre, je découvre sans cesse de nouveaux enjeux, notamment concernant des questions de relations publiques ou de partenariat avec d’autres pédagogies. Persévérer dans le même poste me permet d’aller plus loin, vers une perception plus fine des actions à mener.
Nous avons récemment travaillé avec les médecins, les biodynamistes et la Société anthroposophique et nous continuons à le faire, car tous ces domaines rencontrent actuellement des enjeux similaires. Nous avons fait le choix, à la Fédération, de ne pas mettre l’anthroposophie de côté, puisqu’elle est au cœur de la démarche d’observation du développement de l’enfant dans une école Waldorf. L’intitulé du prochain congrès des écoles est le suivant : « Fondements anthroposophiques et formes contemporaines pour la pédagogie Waldorf ». Choisir un tel thème n’aurait pas été possible il y a cinq ans ! Nous étions tellement attaqués qu’il a fallu d’abord nous mettre au clair sur ce sujet. Autre élément plus anecdotique mais qui va dans le même sens : nous disposons enfin d’un local, à Colmar, au cœur du quartier historique, ce qui a mis enfin un terme à des années de télétravail, nous permet d’accueillir régulièrement des groupes de travail et d’avoir une belle visibilité !
Comment vois-tu l’avenir ?
Le risque de notre pédagogie est qu’elle devienne une pédagogie de l’imitation. Il faut travailler les fondements dans une approche méthodologique. Nous comptons sur l’aide de la Société anthroposophique pour mieux définir cette approche, pour que l’anthroposophie ne soit pas prise comme un corpus mais comme une invitation à avancer sur le développement et les besoins des enfants d’aujourd’hui et de demain. C’est un enjeu majeur !
La création d’un nouveau centre de formation API sous l’égide de la Fondation Paul Coroze et de la SAF va dans ce sens. Elle permettra de stimuler la recherche pédagogique avec une méthodologie de travail liée à l’anthroposophie. J’ai confiance dans ce chemin. L’anthroposophie est une ressource majeure. Plus les enseignants s’y connecteront, plus ils seront capables d’aller de l’avant, plus les écoles seront fortes !
As-tu, dans le domaine pédagogique, un moment fort à partager avec nous ?
C’est maintenant la mère qui parle ! Mes deux filles viennent de présenter leurs travaux d’année[5] avec les camarades de leur classe, l’aboutissement de toute une scolarité. Voir tous ces adolescents s’exprimer comme ils l’ont fait est une grande source de joie. Malgré leurs difficultés, nos écoles savent créer de précieuses oasis qui permettent aux jeunes de se connecter au meilleur d’eux-mêmes et d’être en capacité de transformer le monde à leur façon !
[1] L’Association internationale pour l’éducation Steiner-Waldorf de la petite enfance est un organe du mouvement mondial Steiner-Waldorf.
[2] Le Conseil européen pour l’éducation Steiner-Waldorf est une organisation internationale composée de 26 associations nationales d’écoles Steiner, représentant 775 écoles dans 28 pays européens. Sa mission est de soutenir une véritable éducation Steiner-Waldorf et de promouvoir la liberté dans l’éducation en Europe.
[3] Le Cercle de La Haye (Conseil international pour l'éducation Steiner Waldorf) garantit la qualité de l'éducation Waldorf dans sa pratique pédagogique et la forme sociale des institutions. Il définit les caractéristiques essentielles de l'éducation Waldorf et représente le mouvement dans le monde entier.
[4] Les SAVS ont pour but de soutenir les personnes adultes handicapées dans la réalisation de leur projet de vie.
[5] À la fin de leur parcours, les élèves des écoles Steiner travaillent pendant un an sur un projet de leur choix. Ce travail, parfois nommé chef d’œuvre, est mené en autonomie. Il permet d’acquérir des savoir-faire dans un domaine encore inexploré et de s’organiser. Il invite chaque élève à se mobiliser pour rechercher les ressources documentaires et humaines nécessaires à sa réalisation et se conclut par une présentation orale devant un large public.
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